dimanche 1 mars 2020

LE CINÉMA DE GILLES DELEUZE



« C'est là aussi les grandes scènes en profondeur de champ, où quelqu'un bouge dans "Citizen Kane". La grande scène par exemple où Kane va rejoindre le journaliste, son ami intime et ça va être la rupture. Et il traverse en profondeur de champ tout un couloir pour aller jusqu'au bureau où travaille le journaliste. C'est là que je dis : à tort ou à raison, nous avons l'impression que Kane ne se déplace pas simplement dans l'espace, mais d'une autre manière et en même temps il explore.... Non, ce n'est pas lui qui explore, il est mort. Il nous fait explorer. Son mouvement à lui nous fait explorer une nappe de passé, une région passée. La profondeur de champ signe de manière irréfutable il me semble : ce fut la rupture, et non pas ça va être la rupture. La profondeur de champ fait que le mouvement dans l'espace fait place à une exploration du passé comme tel.

En d'autres termes à ma réponse, [... . Et elle renverse (voilà où je voulais en venir) -bien que ce ne soit pas le seul moyen, on va le voir tout à l'heure- elle renverse le rapport au [grand A]. Le mouvement dans l'espace n'est plus qu'un indice de quelque chose de plus profond, à savoir l'exploration du [pacte] passé. Non pas « c'est la rupture » ou « ça va être la rupture », mais « ce fut la rupture ». Ce fut la rupture entre les deux hommes : voilà le sentiment invincible que me donne la profondeur de champ. Donc aussi bien comme contraction que comme expansion, c'est une fonction de temporalisation. A ce niveau, je crois que théâtralité et réalité deviennent secondaires par rapport : le personnage se déplace dans le temps. Le personnage vous fait explorer l'art de passer.»

Gilles Deleuze - vérité et temps cours 61 du 24/04/1984 - 2


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